J’aime la regarder quand elle se coiffe, je la regarde à la dérobée, me délectant d’un bonheur rare et si intime, lorsqu’elle promène le peigne en corne couleur ivoire en lents et longs mouvements dans son opulente chevelure défaite, c’est alors qu’elle s’abandonne dans une profonde contemplation, elle incline légèrement sa tête adorable, sereine, le regard absent et lointain, elle semble être devant quelque paysage captivant qu’elle seule peut distinguer…
J’aime la regarder lorsqu’elle libère en lourdes cascades sa sublime chevelure noire qu’elle lisse tendrement d’onguents jusqu’à la rendre lisse et brillante, ses boucles serpentines se déversent alors le long de ses hanches, retombent gracieusement sur ses jambes repliées sous elle, c’est alors qu’oubliant ma présence sage elle s’abîme dans la plus délicieuse des solitudes, je m’abstiens de faire le moindre geste, ma respiration menue et légère scandée au rythme de ces ascensions et descentes du peigne docile, et quand elle semble lointaine je la regarde amoureusement, j’admire sa béatitude mélancolique car à travers ses paupières légèrement entr’ouvertes où brillent ses prunelles d’un chagrin lancinant je devine ses pensées secrètes, les causes de ses inquiétudes, je vois refluer inexorablement les mornes marées de ses regrets lorsque ses gestes se font peu à peu plus lents, quand sa main s’arrête à mi parcours de sa chevelure et qu’un profond soupir anime sa poitrine prostrée, je sais alors combien elle souffre, combien elle est désemparée face à ces spectres qui tournoient au dessus d’elle, s’entremêlant des méandres de son passé et de l’avenir menaçant…
Quand elle se coiffe lors de ces après midi oisives, les plus tranquilles que j’ai connues, c’est alors qu’elle est submergée de toutes les douleurs et qu’elle les égrène, avec infinie patience et douceur …
Et parfois, une larme fugitive apparaît soudain sur le rebord de ses cils et coule prestement sur son visage paisible et tendre…