Le « mammouth » rentre chez lui, très remonté et très énervé. Il maudit ciel et terre et n’arrive pas à digérer ce qui lui arrive. Il se sent traqué et n’arrive plus à mettre de l’ordre dans ses idées ( enfin les idées c’est trop dire). Ce test est comme un piège dressé sur son chemin qu’il a longtemps sillonné sans encombres. Pire une opération chirurgicale sans anesthésie pour savoir combien de neurones il a dans son cerveau. Il lui faudra dépoussiérer ses connaissances et sa culture générale qui remontent aux années quarante.
La seule chose qui le soulage un peu c’est que tous ces adversaires candidats sont de même niveau que lui. Mais il craint que l’un d’eux ait recours au système D très utilisé, au su et au vu de tout le monde, dans ces situations ; bakchichs, coup de piston et falsification.
Durant une semaine, il ne cesse de penser à cet examen comme s’il allait passer le bac pour devenir le président d’une commune. Et pour réviser ses classiques, il a sorti tout ce qu’il possédait comme écrits ; les anciens titres qui attestent que tel ou tel champ est bien la propriété de sa famille. Tout est écrit soit sur des bouts de roseau, soit sur des peaux de gazelle avec une encre brune faite à base d’eau et de laine brûlée.
Soudain, il eut un pincement au cœur, l’écriture d’aujourd’hui est bien différente de celle de ces écrits anciens. La calligraphie n’est pas la même ni le style d’ailleurs.
Un lundi matin, « lmeqqdem » lui remit une enveloppe jaune avec un cachet rouge et sans timbre. Il comprit vite et son cœur commence à battre la chamade comme s’il a reçu un passeport pour l’enfer. Sans ouvrir la lettre, il courut chez le Caïd pour qu’il lui explique le contenu de cette fameuse missive.
La date de l’examen est fixée à 15heures le vendredi prochain à la province de Tiznit. Il faut que tu sois muni d’un stylo bleu ou noir pour écrire, le rouge c’est interdit, lui annonça le Caïd.
Pour le « mammouth », le cauchemar commence à prendre de l’ampleur, un mur de brouillard se dresse devant ses yeux et ses oreilles se mettent à siffler.
Le jour J est arrivé. Le vendredi à l’aube, le « mammouth » est déjà à la station de taxis de Tlata n Lakhssas. La station est déserte, il n’y a pas âme qui vive, seuls quelques chiens errants, profitant de cet instant de répit et de fraîcheur, dorment paisiblement. Le café de la place, habituellement ouvert juste après la prière de « al fajr » ne donne aucun signe de vie. Le « mammouth » se sent seul dans un village fantôme et des milliers de questions lui traversent l’esprit. Comment ça se fait que personne n’est là aujourd’hui ? pas l’ombre d’un clochard ou d’un sans abri. Il se retourne et il vit que la lumière en haut du minaret de la mosquée n’est pas allumée. Il sortit sa montre de poche pour voir l’heure, il est trois heures moins dix du matin. Il reste encore deux heures pour la première prière de la journée. Il se rend compte qu’il n’a dormi qu’une demi heure cette nuit et que sa femme sur laquelle il comptait pour le réveiller n’était pas fautive.
La nuit commence à retirer ses voiles sombres, quelques coqs se mettent à chanter et le muezzin appelle les fidèles à la prière du matin.
Après un petit déjeuner dans le café de la place, le « Mammouth » prend le premier taxi pour Tiznit. Le chauffeur, à moitié réveillé, ne le rassure guère. Il regrette de ne pas prendre sa propre voiture faute de certificat d’assurance périmé. Le taxi dévale bruyamment la route sinueuse qui traverse le plateau de Lakhssas.
Arrivé à Tiznit, le « mammouth » se sent un peu rassuré malgré cette angoisse qui lui noue les tripes. Il rend visite à quelques commerçants qu’il connaissait depuis longtemps. L’un d’eux l’invita au déjeuner, il accepta avec grand plaisir.
Après un couscous copieux, chapeauté de divers légumes et de gros morceaux de viande, le « mammouth » et son hôte dégustèrent un thé à la menthe succulent.
Devant la province de Tiznit, tous les candidats (analphabètes) à la présidence des autres communes sont déjà là drapés dans leurs djellabahs blanches.......
A suivre