Billet d'humeur:« Quand l’Homme a voulu imiter la marche il a inventé la roue, qui ne ressemble pas aux pieds. »
Guillaume Apollinaire
Etre artiste, écrivain, poète amazigh, est- ce- que cela nous oblige forcément à n’écrire, ne penser, n’imaginer et créer qu’en tant qu’intellectuel- artiste amazigh ? Dès que l’on porte l’étiquette de l’amazighité, que l’on prétend la revendiquer ou la représenter, ne se trouve- t- on pas conditionné dans notre façon de penser et de produire, au service uniquement de cette idée de l’amazighité ?
Bien- sûr, nous sommes Imazighens et notre identité particulière nous procure une manière de voir le monde, une pensée teintée par notre culture. Pourtant la plupart d’entre nous ont une vision du monde, de l’être, des lettres et des arts bien plus vaste et plus variée que notre terroir amazigh cher à notre coeur, mais limité.
Bien- sûr, notre condition générale ( Histoire, société, politique, etc. ) exige en principe une certaine dose d’engagement intellectuel en faveur de nos identité, langue et culture oppressées. C’est de notre devoir de défendre l’amazighité, par tous les moyens culturels. Mais le champ de l’engagement culturel en faveur de l’amazighité est tellement réduit, de mon point de vue personnel tellement répétitif, pour ne pas dire médiocre et décourageant : d'une part, pour qui écrire, créer ? Le peuple amazigh pour une grande part se désintéresse de la culture, de la littérature et de l’art. D'autre part on a vite fait le tour du microcosme culturel amazigh, toujours identique à lui-même; on en a vite atteint les limites pour se retrouver avec un sentiment d’enfermement, de nombrilisme et une certaine forme de fanatisme identitaire et culturel néfaste justement pour la création littéraire et artistique, qui nécessite liberté et créativité, une audace et un renouvellement permanents. Ainsi, il faut se méfier de l’étiquette « art et littérature amazighes », où certains, par excès de militantisme ou de fierté, risquent de se retrouver cloisonnés comme dans une réserve hermétique, renfermée sur elle-même.
Bien que l’idéal amazigh nous tienne à cœur, qu’il y a là bien entendu matière de réflexion, d’inspiration et de création, une noble et juste cause d’engagement militant, cette " spécialisation" risque de devenir rapidement étouffante pour les artistes et sclérosante pour la survie de la culture amazighe, qui a déjà subi un énorme retard. La création littéraire et artistique féconde, novatrice, dépasse justement toutes les étiquettes, les identitarismes et les idéologies, elle ne peut se déployer et s’épanouir que dans l’universalité pour combler les lacunes et les retards et ne point demeurer au point « zéro », mais tendre à diversifierses surces d'influence, rejoindre la création littéraire et artistique du monde moderne, travailler dans ‘ l’ « ici et maintenant » ; elle doit prétendre à l’avant-garde, se confronter et s’élever aux cultures étrangères, qui ont pris une bonne longueur d’avance, depuis longtemps. Ne plus se sentir obligé d’écrire, de produire qu’en « termes amazighes » et se refermer dans l’imitation d’un modèle dépassé, mais oser se mettre au niveau du monde, quitte à mettre parfois entre parenthèses son amazighité, la « mettre en veilleuse » et s’adresser, « urbi et orbi » au plus grand nombre, au-delà de nos frontières amazighes.
Il y a beaucoup à dire sur la littérature et l’art typiquement amazighes, de nos jours : à commencer par la plus productive et la plus populaire des arts populaires, la chanson, qu’elle soit traditionnelle ou moderne, qui constitue un riche réservoir culturel identitaire puissant, mais ces chansons ( excépté les classiques ) sont parfois lassantes tellement elles sont répétitives par leur forme et contenu, se copiant les unes les autres, et ne s’adressant qu’à leur public amazigh restreint, sans aucun effet de surprise ni d'originalité.
Les arts plastiques amazighes sont, qu’on le veuille ou non, d’un niveau médiocre et ne consistent, avec les moyens du bord très limités de l’artiste amazigh et l’absence de l’intérêt du public, qu’à se répéter inlassablement, se copier de façon lamentable le plus souvent, toujours sur le même modèle folklorisant.
Le théâtre quant à lui est pratiquement inexistant, hormis quelques comiques qui ont réussi à percer et qui ne s’adressent qu’à un public amazigh initié, amateur de bonnes blagues et d'autodérision. Pratiquement pas de théâtre amazigh classique ou moderne de qualité, novateur. C’est bien de traduire en tamazight des pièces universelles, mais pourquoi ne pas inventer, écrire et produire à partir de ces modèles avancés ?
Le cinéma amazigh, plus productif et plus populaire, se contente aussi, par manque de courage, de ne représenter que des clichés à l’intention d’un public habitué de recevoir toujours la même image de lui-même. Il serait intéressant de le comparer au cinéma des pays asiatiques, coréen, japonais par exemple, qui a dépassé son cercle ethnico- folklorique, pour devenir universel, l'un des meilleurs du monde!
Nos ancêtres du Néolithique faisaient preuve d’imagination et d’innovation, en inventant le chariot et la roue, l’une des plus grandes prouesses technologiques de la Préhistoire et de l’Antiquité. Imazighens constituaient un réservoir inventif pour les cultures antiques, qui leur ont beaucoup emprunté. Plus tard,
Apulée ( Afulay ), écrivain amazigh de l’Antiquité, n’avait pas réfléchi en termes identitaires amazighes, bien qu’il se revendiquait au sein de Rome en tant que tel, Nord africain; et il avait produit une œuvre universelle, qui nous interpelle par sa modernité jusqu’à nos jours. Saint Augustin ( Augusten) de même, ne s’est pas réservé à l’imitation des anciens, mais il avait fait preuve d’audace et d’innovation, d’universalité, en créant un genre littéraire nouveau, l’autobiographie (Les Confessions), pour mieux illustrer et renouveler les dogmes chrétiens sclérosés à son époque.
A nous de prendre ces prestigieux ancêtres pour modèles, de restaurer et de renouveler la culture amazighe !
Atanane