A vingt ans, Assirem fut un garçon épanoui, beau, possédant toutes les qualités qui pourraient le décider à affronter la planète des hommes avec tout ce qu’elle a de difforme et de merveilleux.
Il quitta sa terre Amazigh pour aller se faire des idées, dit-il. Abandonnant cet immense pays de Libyens laboureurs. Ce sol qui lui avait tant donné, cette grandiose étendue unique par son climat, appréciée, adorée, aimée par toutes les grandes civilisations du bassin méditerranéen. Cette Afrique septentrionale amarrée par une chaîne de montagnes qui semblait retenir cette superficie clouée au continent ébène. Cette terre jalonnée, jadis, par les grands fauves de l’existence. Air de repos, où, tous les oiseaux et les volatiles de l’univers atterrissaient pour prendre du bon temps. Les humains les ont imité et élurent domicile sur cette contrée depuis le néolithique.
Assirem avait un amour fou pour cet Espace où le fennec et l’arganier se côtoyaient sans cesse. Terre sur laquelle poussaient des plantes qui ne subsistaient nulle part ailleurs. Univers ayant permis à son esprit d’humer les senteurs paradisiaques de la vie terrestre et de voir loin, au-delà de l’horizon. Ce pays où le cœur du jeune a été éduqué à l’amour, à l’espérance. Il apprit par son entourage à embrasser toutes les joies et à braver tous les hasards et les circonstances. Cette glèbe Amazigh qui l’avait vu naître, sur laquelle il eut appris la langue de ses ancêtres. Cette Langue Amazigh qui lui avait été administrée par sa mère en compagnie du liquide opaque, cette maman qui lui inculqua les formules basiques du respect d’autrui, la culture de la différence, l’amour des hommes et de la nature. Il aima Ce monde sur lequel il jeta un dernier regard, lors de la traversée du détroit tout en essuyant des perles de larmes qui glissaient sur ses joues comme si des cerises pleines d’eaux tombaient d’un arbre en se fracassant sur le sol se scindant ainsi en mille.
Là bas, dans la brume, il vit disparaître ce continent tant aimé, une brise froide et continue venant de l’océan s’empare de ses sens et glace son âme au plus profond d’elle. Une étrange sensation s’empara de son être, son corps est en proie à de violentes convulsions inexpliquées, incompréhensibles, qu’il n’a jusqu'alors jamais ressenti. Tout ému, il sentit, pour la première fois de sa courte présence sur ce globe, qu’une partie de son être s’était envolée en ayant pratiqué une scission dans son corps, pour ainsi rester sur le rivage qui s’éloigna irrémédiablement. Il crut perdre sa raison pour un instant lorsque le ciel se confondant avec la mer et son continent disparut de sa vision.
Le navire aborda le rocher Gibraltar, tout les voyageurs s’extasiaient sur ce monstre tel un gros molosse seul au milieu du désert océanique, frappé par la houle qui rendait silencieux tout l’environnement. Le soleil grimpait de plus en plus haut vers l’ouest comme s’il voulait éviter la rosée des vagues et la tristesse d’Assirem. Puis, quelques instants plus tard, ils débarquèrent dans un port ibère.
Assirem eut une impression insolite en découvrant que de nombreux voyageurs ne parlaient pas son idiome. Il se rappela alors qu’il avait vécu la même expérience quelques semaines auparavant dans un lieu administratif où il avait obtenu son passeport. Puis il se sentit envahi par une espèce de sentiment diamétralement opposé à celui ressenti en pleine mer lorsqu’il découvrit l’engloutissement subite de son continent dans les flots. Il eut une peur bleue pour sa langue. Pour cacher ses appréhensions, il se plaisait à croire que tôt ou tard il finirait par croiser une personne qui ferait frémir son esprit en lui parlant la langue Amazigh.
Dès l’aurore, Le car roulait à vive allure, déchirait les routes espagnoles comme si une lame coupait un tissu de soie. Le ciel est bleu azur, Les paysages sont chargés d’arbres fruitiers entrecoupés par des allées de mimosas et autres hortensias, Les cyprès arboraient presque toutes les fermes. Assirem remarqua que quelques acacias poussaient ici et là pour limiter l’envahissement des oliviers. L’olivier, ce monument de dame nature qu’Assirem connaissait parfaitement. Il se rappela, soudainement, les belles soirées qu’ils vécurent lui et sa famille au milieu de dizaines d’oliviers plantés en désordre, anarchiquement, mais qui faisait corps avec le paysage du Haut Atlas. C’est-à-dire, que les ancêtres possédaient une science du beau, du sublime, de la culture du magnifique qu’ils avaient emporté dans l’au-delà.
Le voyage terrestre vers le pays d’accueil fut singulièrement pénible et pesant. Ne pouvant engager aucun dialogue avec les voyageurs. Assirem, pâle, en sueur, prit l’engagement moral de faire un geste de civilité envers son voisin de voyage et paracheva son silence en balançant quelques mots en Amazigh à l’adresse de son voisin. Il ne reçut aucune réponse, attendit en vain, un signe, une grimace, une mimique, rien ne s’en vint.
Vingt ans plus tard, Assirem. Cheveux poivre et sel, l’œil vif, marchait d’un pas rapide longeant la seine avec son eau verte, tourne un peu plus loin à droite pour s’engager rue de Touraine. Rue étroite où siège (l’association pour la promotion de la culture Amazigh) dont il est président. Il poussa une porte qui donnait sur un long couloir, au bout, une autre porte à bâtons s’ouvrit devant lui sur une salle comble. La diaspora, les militants sont là. Au fond de la salle, sur l’estrade une jeune fille se lève, entonna l’hymne Amazigh. Après toutes ces festivités d’usage, le président s’adressa en ces termes à la salle : « Aytma d’istma, vous me voyez très déçu aujourd’hui, car, notre langue Amazigh est en perdition.je vous le dis, c’est vrai. Si nous ne redoublons pas nos efforts, notre langue ira finir son agonie comme le lion de l’atlas dans les zoos d’Europe. C’est pour cela que j’ai une grande envie de vous filer un grand coup de pieds pour de faux, étant donné que mon amour pour vous est sans limite. Allez, parlez notre langue dans tous les coins de la planète ».