Tafraout pleure son artiste : Le poète Mohamed Belyazid tire sa révérence
L'amdiaz berbère, Mohamed Khaldi, alias M. Belyazid, n'est plus. L'artiste vient de rendre son dernier soupir dans son village d'Ayird, commune de Tassrirt, à l'âge de 61 ans. Une maladie cardio-vasculaire qu'il couvait depuis deux ans, dans le silence et l'insouciance ambiante totale, a eu farouchement raison de lui. Cette brutale disparition a provoqué une grande affliction parmi les siens et l'ensemble des Tafraoutis qui l'ont côtoyé et qui ont été marqués par sa personnalité et ses qualités.
« Nous avons perdu un fils sincère, plaisant, sociable et d'une très grande gentillesse», témoigne, profondément attristé, un sexagénaire d'Ayird. Le choc n'en est pas moins fort du côté des compagnons de son itinéraire artistique. Ali Chouhad d'Archach, Amouri M'bark, Lfouwa d'Oudaden, Raîs Talb Lmzoudi, Damou … Tous regrettent en le départ cruel de Belyazid, la perte de ce grand maître-école de tamdiazt qui s'est soudainement tu. « C'est triste, triste… », se contente de ressasser, la voix frémissante d'émotion, Brahim Kouk, son plus proche collègue dans sa carrière artistique.
Mohamed Belyazid a commencé officiellement cette dernière à l'âge de 25 ans. Virtuose du banjo et de la guitare, grand jongleur du verbe poétique dont il a aiguisé le sens grâce aux joutes oratoires d'Ahwach où il s'est illustré au bled, il créa la troupe musicale berbère Izmaz, à Casablanca, au début des années soixante-dix. Celle-là même qui, à côté de l'autre troupe d'Ousmane, allait révolutionner la chanson berbère. En la libérant des carcans de son modèle traditionnel dominé à l'époque par les chants des Rwaîs. Pour lui donner un aspect moderne en recourant aux sons des instruments musicaux d'origine occidentale.
Le premier album, ‘‘Rwah Rwah Anmoun'', sorti en 1974, a cartonné à l'époque. Suivi d'Assif, Ayiguidr, Niyt ,Lbhor…Un riche répertoire, qui a « catapulté » la troupe sur les devants de la scène musicale berbère. Elle connaîtra son apogée tout au long des décennies 70 et 80. Attiré par son retentissant succès, le ministre de la Culture de l'époque ne cessait d'inviter Izmaz à se produire dans divers festivals et manifestations culturelles nationales et internationales. Plusieurs tournées à l'étranger ont emmené la troupe en Tunisie, Dreux, Mantes-la-Jolie en France, Anvers et Bruxelles au Plat pays… où ses grands tubes dignes d'anthologie comme Lhenna, Chahwa Taroumit, Ajdig An Illan Rtagant… ont galvanisé aussi bien les spectateurs étrangers que nos ressortissants marocains.
Ce n'est qu'à la fin des ans 90 que le groupe musical avait cessé de se produire et que Belyazid abandonne définitivement la scène. Quelques années plus tard, il se retira dans son village où il allait se consacrer à la poésie malgré son état de santé. Il planchait sur un long recueil de poésie berbère dans lequel il traitait des thèmes d'actualité comme Gaza, le Sahara marocain, Anfgou …. « Il est presque fin prêt ; j'irai bientôt à Casa pour son édition », nous a-t-il confié, il y a juste quelques jours, au détour d'une discussion à bâtons rompus à Tafraout. Mais l'artiste a brusquement changé de cap pour prendre le chemin de l'au-delà.
Le Festival Tifawine de Tafraout a eu le mérite de lui rendre, de son vivant, un grand hommage en reconnaissance à sa création qui a énormément enrichi le champ artistique et musical berbère. « Akirhm rbi ayamdiaz n'Tmazight » .
IDRISS OUCHAGOUR
Libération
Samedi 23 janvier 2010